vendredi, avril 19, 2024

La Culture des Bayeke

Ce texte fut écrit par Feu le Mwami Antoine Munongo Luhinda Shalo. Sa contribution à l’histoire et la culture des Yeke est notable. Le Mwami s’attela à cette tâche herculéenne, qui, à ses yeux, était d’une importance suprême. Aujourd’hui, plus que jamais, nous bénéficions de ce labeur d’amour, surtout en cet age des multimédias où les cultures occidentales prennent de l’ampleur, au détriment des nôtres. Notre reconnaissance envers le Mwami Luhinda est inexprimable.

Nous, La famille Yeke tout entière, avons l’honneur de vous présenter notre culture, nos chants traditionnels qui, la plupart du temps, relatent notre histoire et évènements marquants. Ces chants provoquent des émotions diverses, telles que la joie, la tristesse, la colère, et l’espérance. La musique, étant le langage universel, est la manière idoine de vous communiquer qui nous sommes, sans prétention, et en même temps, nous permet de conserver notre histoire, et de la léguer à nos enfants.

 

Chers lecteurs, voici la culture des Bayeke.

Grands guerriers, grands commerçants et intrépides voyageurs, qualités que nous n’avons guère héritées d’eux, nous, leurs descendants, les anciens Bayeke sont aussi de grands chanteurs. Nos pères, au lieu d’exprimer par la parole ordinaire les différents sentiments de l’âme et les différentes circonstances de la vie, préfèrent souvent les chanter. C’est surtout à l’occasion des fêtes religieuses ou autres, comme celle qui eut lieu le 15 août 1948 à Bunkeya, que ces chanteurs réunis à la cour royale, se servent de leurs chants pour louer leur Mwami, lui donner de bons conseils, lui demander ce dont ils ont besoin. C’est alors qu’ils lui signalent les dangers qui menacent le pays, afin qu’il prenne des mesures pour empêcher des malheurs de s’abattre sur son peuple. C’est alors aussi qu’ils se servent du chant, pour inculquer à la jeunesse le respect dû au Mwami, aux notables et aux coutumes ancestrales.

Cette manière d’exprimer la pensée par le chant plaisait au Mwami Msiri et plait encore aujourd’hui à ses successeurs et à tous les Bayeke. Pour encourager les artistes chanteurs, Msiri les comblait de grandes récompenses. En voici un exemple. Revenant vainqueur des campagnes de Kayumba et de Lupundu, Msiri établit son camp derrière la montagne de Nkulu avant de faire son entrée triomphale à Bunkeya. Mais le peuple, mécontent de certaines querelles survenues pendant la longue absence du Roi, alla au-devant de lui pour lui demander, par l’intermédiaire d’un chanteur, de hâter son entrée dans la capitale en vue de rétablir l’ordre. Cet artiste exécuta le chant que voici :

 

Mwenda, Kotoka mwami (1) Mwenda, reviens, ô roi,
N’oyo ali mulanda Car même celui-la qui était roturier
Kwabele kuitandula S’élève maintenant
Mu esha shalo, kotoka, Dans ce pays: reviens,
Bwana Saidi, ai we! O maître Saidi, ai we !
Lugambo, lugambo gambo ku numa Que de palabres pendant ton absence,
N’ezyo nkungwe mu mbavu: Que des pleurs parmi nous;
Shabele shishiko mu Bunkeya, ai we! C’est l’extermination a Bunkeya, ai we!

 

Parti de Bunkeya vers l’age de douze ans et vivant depuis lors loin de ce centre muyeke, épris de la beauté des choses européennes, j’avais, comme la plupart des jeunes gens d’aujourd’hui, négligé d’étudier l’histoire de mon pays. Si maintenant j’aime cette histoire, ainsi que nos chants et notre musique, c’est grâce à mes parents, et notamment à mon oncle paternel Mwenda Kitanika, qui en me donnant un exemplaire des Mémoires de Mukandabantu, alluma en moi cet amour. C’est pourquoi rendre ces chants Bayeke en français, langue belle et noble, mais si difficile surtout pour l’étranger, ne m’a pas été chose facile. D’abord, notre manière de nous exprimer á nous, les Noirs, diffère assez souvent de celle des Européens à cause de la différence de nos milieux et de nos mentalités. Ensuite, parmi ces poésies Bayeke, quelques-unes sont apportées de l’Usumbwa, notre ancienne patrie, d’autres ont été composées ici au Katanga ou en Rhodésie. Les premières célèbrent de grands événements du pays de nos ancêtres, entre autres son invasion par les Bangoni et sa libération par les rois Mirambo et Shyunzi. Elles restent souvent un mystère pour nous, les Bayeke d’aujourd’hui. Car, en les exécutant devant nous, nos vieillards oublient souvent de nous les expliquer.

Parmi les secondes, qui sont moins difficiles à comprendre, quelques-unes recèlent un souvenir des événements de l’Usumbwa, des allusions à des gens et à des choses de là-bas. Aussi, pour traduire le caractère un peu mystérieux des chants et de le faire comprendre en français au lecteur, ai-je dû m’asseoir des jours et des jours aux pieds des vieillards et solliciter des explications. Ces bienveillants maîtres ont essayé de m’éclairer sur ce sujet et ils y ont réussi dans la mesure où leur vieille mémoire était encore fidèle… C’est dans cette mesure que je présente ces chants en une traduction littéraire. J’ai essayé de me faire comprendre. Si je n’ai pas réussi, que le lecteur veuille bien m’en excuser.

A ceux qui connaissent mieux le kiyeke que moi, je dirai que cette langue a subi les influences de differents pays habités par les Bayeke, en plus de celles que lui faisaient subir les nombreux dialectes des Wanyamwezi, venus de divers royaumes de cette contrée à la suite de nos Pères Wasumbwa. En outre ces Bayeke, dont la plupart sont nés des femmes autochtones, ne sont plus, depuis plus d’un demi-siècle, au contact de leurs frères de l’Usumbwa. C’est pourquoi, ils emploient parfois certains mots dans un sens différent de celui qu’ils ont là-bas. Parfois aussi ils se servent des termes des langues autochtones. Toutefois, je dois le dire à leur honneur, la comparaison de langage vivant et celui qui est contenu dans quelques livres que je me suis procurés de l’usumbwa, me permet d’affirmer que nos Pères parlent encore bien notre langue kiyeke.

Comme je l’ai dit plus haut, ces chants rappellent des événements de l’Unyamwezi, dont l’Usumbwa n’est qu’une partie et de l’empire muyeke ici au Katanga. Voila pourquoi je les ai intitulés “Chants historiques des Bayeke”.

Je termine, en remerciant mes bons maîtres Bayeke de la bienveillance qu’ils m’ont témoignée et les quelques Européens qui m’ont encouragé à sauver de la disparition totale, la poésie et la musique indigènes. Merci également a Monsieur Joseph Kiwele qui nota ces chants.

 

Antoine Munongo.